PRINCIPE D'OPPOSABILITÉ DU DIVORCE AUX TIERS
Le jugement de divorce a pour objet de prononcer la dissolution du mariage des époux et la fin du régime matrimonial. Sur le plan économique, ce divorce emporte d'importantes conséquences pour les créanciers des époux. Il est donc important pour eux de savoir à partir de quel moment le divorce leur est opposable.
L"article 262 du Code Civil pose un principe simple et protecteur pour les tiers : "La convention ou le jugement de divorce est opposable aux tiers, en ce qui concerne les biens des époux, à partir du jour où les formalités de mention en marge prescrites par les règles de l'état civil ont été accomplies."
Ainsi, les tiers de bonne foi pourront continuer d'appliquer les règles du régime matrimonial pour des actes réalisés après le prononcé du divorce qui n'a pas encore été rendu opposable. A contrario, toute dette souscrite après cette date par un époux ne lie pas l'autre aux créanciers. L'article 262 du Code civil précise bien que cette opposabilité concerne les biens des époux. En effet, s'agissant du régime légal, le patrimoine des époux ne se divise plus en trois masses après le divorce (deux masses propres et une masse commune) mais en deux patrimoines distincts et personnels.
La modifications des masses actives est donc opposable aux créanciers mais qu'en est-il de la répartition du passif entre les époux ?
INOPPOSABILITÉ DU CONTENU DU DIVORCE AUX TIERS
Avant ou après le jugement qui prononce le divorce, il est procédé à la liquidation du régime matrimonial. Cette opération implique de définir l'actif ainsi que le passif des époux et de la communauté afin de compenser les mouvements de valeurs entre les masses.
À ce stade, il est important de distinguer le passif définitif du passif provisoire. Le passif définitif s'intéresse à la charge définitive de la dette dans les relations entre époux : la contribution à la dette. Le passif provisoire s'intéresse au droit de gage des créanciers pour les dettes souscrites par les époux : l'obligation à la dette. Or, les opérations de liquidation ont pour seul objet d'établir le passif définitif dans l'état liquidatif et la répartition de ce passif entre les époux.
Il est donc souhaitable pour les époux que l'ensemble du passif soit soldé avant tout partage. Cependant, en pratique, il est fréquent que toutes les dettes ne soient pas intégralement apurées. Le divorce étant prononcé et opposable aux tiers, les créanciers ne disposent plus que des deux patrimoines personnels des époux pour obtenir le recouvrement de leur dette. Cette situation peut poser difficulté pour certaines dettes.
Il convient de les classifier en trois catégories :
Les dettes personnelles des époux : Il s'agit des dettes qui engageaient les biens propres et les revenus de l'époux débiteur. Dans ce cas, le créancier pourra recouvrir sa dette sur l'ensemble du patrimoine personnel du débiteur.
Les dettes communes des époux : Ce sont les dettes qui engageaient la communauté au cours du régime matrimonial ainsi que la masse propre de l'époux débiteur. Elles sont entrées en communauté du chef de l'un des époux. Les articles 1482 et suivants du Code civil disposent que l'époux débiteur pourra être poursuivi après le partage pour la totalité de la dette tandis que l'autre ne sera tenu que pour la moitié de la dette sauf s'il invoque le bénéfice d'émolument. Enfin, si ce dernier paie plus que sa part il aura un recours contre son conjoint.
Les dettes solidaires : Il peut s'agir d'une solidarité légale (Article 220 du Code Civil) ou conventionnelle. Dans ce cas, les deux époux sont réputés avoir tout deux souscrit à la dette. Le créancier pourra donc poursuivre les deux époux indifféremment pour le paiement de la totalité de la dette. Si un des époux règle l'intégralité de la créance il pourra se retourner contre l'autre pour obtenir sa contribution. Néanmoins, une décharge de solidarité peut être demandée par l'époux qui n'aura pas la charge définitive de cette dette auprès de l'organisme de prêt.
Le droit de gage des créanciers est clairement défini par la loi mais le juge ou les parties peuvent choisir une répartition des dettes différente entre les époux. Cette répartition est faite au stade de la contribution à la dette et n'engage pas les créanciers.
À ce titre, il convient de distinguer selon le type de divorce.
Lors d'un divorce par consentement mutuel, le juge homologue la convention de divorce conclue entre les époux et prononce le divorce. Cette convention peut avoir pour vocation de répartir les dettes entre les époux et définir l'attribution des biens. Or, sur le fondement de l?effet relatif des contrats la Cour de cassation a rappelé que la convention « même homologuée en justice ne peut avoir pour effet, en l'absence d'un accord du créancier, d'éteindre la dette de l'un des conjoints et n'a de force obligatoire que dans leurs rapports réciproques ». (Civ. 1re, 2 juin 1992, n°90-17.499) La convention de divorce n'a d'effet qu'à l'égard des époux et les créanciers ne sont pas tenus aux stipulations de cette dernière.
Exemple : Un couple marié contracte un emprunt pour l'acquisition du logement. Ils sont tous deux solidaires dans le paiement de la dette. Ce même couple divorce et inscrit dans la convention de divorce que le bien en question est attribué à l'époux à charge pour lui de régler les mensualités. En cas d'impayés, la banque ayant consentie à l'emprunt ne sera pas tenue de poursuivre uniquement l'époux mais pourra également engager le patrimoine de l'autre. La convention de divorce n'est pas opposable au créancier.
Lors d'un divorce contentieux, le juge prononce le divorce et ordonne la liquidation, le partage des intérêts patrimoniaux et le cas échéant, désigne un notaire. Le partage peut être amiable ou à défaut d'accord, judiciaire.
Le partage amiable laisse la possibilité aux époux de modifier les règles légales de répartition du passif. L'article 1490 du Code civil précise bien que les clauses de partage qui prévoient une répartition distincte de celle prévue par les textes n'est pas opposable aux tiers créanciers. À défaut d'accord entre les parties, le juge désigne un notaire qui procèdera à la liquidation et pourra trancher sur les points litigieux. À ce stade, le juge a aussi la capacité de répartir le passif entre les époux. Néanmoins, là encore, le jugement traite des relations entre les époux et son contenu n'est donc pas opposable aux créanciers.
Exemple : Un couple marié contracte un crédit à la consommation non soldé au jour du divorce. Le jugement de divorce ou les époux décident de mettre à la charge d'un époux le règlement des mensualités. Or, cette dette engage initialement la communauté, le créancier pourra donc obtenir le recouvrement de sa dette entre les mains des ex-époux. À charge pour l?époux lésé d?engager une action contre son ex-époux pour rétablir la contribution.
Il est donc important pour le liquidateur et les conseils des époux d’informer des conséquences de l’existence d’un passif commun provisoire. Les parties peuvent continuer d’être importunées par les créanciers de leur ex-époux alors même que la dette n’est plus à leur charge. Il est donc important d’essayer d’épurer l’intégralité du passif provisoire commun avant le partage ou de limiter les risques de poursuites des créanciers par d’autres mécanismes (bénéfice d’émolument ou demande de décharge de solidarité). Reste à préciser que toute personne qui se voit contrainte de solder une dette qui ne lui était pas attribuée a la possibilité de former un recours contre son ex-époux pour obtenir son remboursement.